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Charles de Gaulle – Conférence de presse du général de Gaulle du 10 novembre 1959

Ci-dessous le texte intégrale de la conférence de presse du général de Gaulle du 10 novembre 1959 :


 

Après des années de tension internationale, il semble que se dessinent, du côté du monde soviétique, quelques indices de détente.

Je ne parle pas seulement des propos des hommes responsables qui, faisant trêve aux invectives, proclament leur désir de voir s’organiser la paix. Mais je fais aussi allusion au fait que, dans certains cas difficiles – Moyen-Orient, Inde, Laos, Afrique, Amérique centrale, par exemple – Moscou évite en ce moment de jeter de l’huile sur le feu ; qu’après avoir paru sommer les 3 Grands Occidentaux de mettre un terme à leur présence à Berlin, le gouvernement soviétique a suspendu sa pression ; qu’à l’occasion des débats actuels aux Nations-unies les représentants russes se détournent, dans une certaine mesure, du concours de malveillances et de démagogies qu’un groupe d’Etats plus ou moins agités cherche à dresser contre la France ; qu’enfin se multiplient entre l’Est et l’Ouest les contacts de dirigeants, de savants, d’artistes, et cetera, en attendant que les peuples eux – mêmes puissent peut-être un jour échanger sans entraves leurs produits, leurs idées, leurs voyageurs.


Quelles peuvent être les raisons de cette première apparence de changement ? Il est loisible de les supposer. Sans doute la Russie, s’étant dotée d’une puissance colossale et sachant que l’Occident en possède une du même ordre, admet – elle qu’un conflit, de quelque côté qu’il vienne, aboutirait à l’anéantissement général et que, faute de faire la guerre, il faut en venir à faire la paix. Sans doute, le régime communiste, appliqué à la Russie depuis 42 ans, et qui s’oppose au monde libre de toute son idéologie, perd – il de sa virulence sous la poussée profonde du peuple vers ce que l’homme souhaite par nature : une vie meilleure et la liberté. Sans doute ce même régime, dont la Russie s’est servie pour gouverner de force, par personnes interposées, le territoire de ses voisins d’Europe, reconnaît – il que, pour régner sur la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, l’Albanie, la Yougoslavie, la Prusse, la Saxe, il ne les a pas acquises et qu’il n’y a pas de doute que, si les populations de ces pays pouvaient s’exprimer librement, elles le rejetteraient à une énorme majorité. Sans doute la Russie soviétique, bien qu’ayant aidé le communisme à s’installer en Chine, constate – t – elle que rien ne peut faire qu’elle – même ne soit la Russie, nation blanche de l’Europe, conquérante d’une partie de l’Asie et, en somme, fort bien dotée en terres, mines, usines et richesses, en face de la multitude jaune qu’est la Chine, innombrable et misérable, indestructible et ambitieuse, bâtissant à force d’épreuves une puissance qu’on ne peut mesurer et regardant autour d’elle les étendues sur lesquelles il lui faudra se répandre un jour. Sans doute enfin, et peut-être surtout, la personnalité du chef actuel de la Russie soviétique, discernant qu’à l’échelon suprême des responsabilités le service rendu à l’Homme, à sa condition, à sa paix, est le réalisme le plus réaliste, la politique la plus politique, joue – t – elle un rôle déterminant dans le début d’une nouvelle orientation.

De cet ensemble est sortie l’idée d’une conférence des chefs des Etats ayant des responsabilités mondiales. Sur le principe d’une telle réunion, il n’y a d’aucun côté aucune opposition. La France y est favorable. Mais, justement parce qu’elle souhaite que la rencontre projetée aboutisse à quelque chose de positif, elle croit nécessaire de ne pas se hâter vers des entretiens qui pourraient être superficiels, c’est-à-dire sans conclusion, ou bien qui se termineraient par quelque arrangement bâclé qu’on regretterait dès le lendemain et qui deviendrait la source de nouveaux malentendus. Les précédents donnent à réfléchir. Il y eut, en notre temps, 5 réunions de ce genre. L’une, celle de Munich, fut désastreuse pour la paix. 3 autres, Téhéran, Yalta, Potsdam, n’ont pas servi l’équilibre du monde. Enfin, celle de Genève n’a nullement amené la détente qu’on espérait.

S’il s’agissait simplement d’organiser, entre 4 ou 5 présidents, un concert d’assurances mutuelles de bonne volonté et d’effusions réciproques alternant avec des critiques adressées au régime des autres et l’exposé des raisons que chacun a de ne craindre personne, la Conférence au sommet Est-Ouest présenterait peu d’avantages en regard de l’inconvénient de provoquer une déception.

Si l’on estime au contraire qu’un pareil aréopage devrait ouvrir la voie au règlement pratique des problèmes qui étreignent l’univers : course aux armements, misère des pays sous-développés, immixtion dans les affaires des autres, destin de l’Allemagne, situation dangereuse en Orient, en Afrique, en Asie, alors, avant de le réunir, 3 conditions doivent être remplies.

La première est que l’amélioration des relations internationales se poursuive au cours des prochains mois, afin que les chefs d’Etat puissent s’entretenir dans l’ambiance d’une détente et non point dans celle d’une crise. Les occasions ne manqueront pas. Dès à présent, la session des Nations-unies en offre un certain nombre. La France donne l’exemple, car elle s’abstient de s’en prendre à personne. Puisse- t – on en faire autant à son égard !

La seconde condition consiste en ceci que les chefs d’Etat occidentaux qui doivent participer à la future Conférence Est-Ouest se soient auparavant entendus quant aux questions à traiter et quant à la position commune qu’ils prendront sur chacun des sujets. La visite du secrétaire d’Etat au Foreign Office, puis celle du chancelier allemand, vont être, à cette fin, très utiles. D’autre part, je me réjouis beaucoup du fait que des entretiens à 4 sont décidés pour décembre. Le président Eisenhower, le Premier Macmillan, le chancelier Adenauer, sont tous les 3 des hommes que j’admire et auxquels me lie l’amitié, quelles que puissent être en certains cas les divergences politiques de nos Etats. Je crois qu’au début du printemps, il conviendra de nous revoir, quand nos gouvernements auront travaillé sur les bases que nous allons, je l’espère, déterminer et quand ils auront consulté à loisir les alliés atlantiques, en particulier l’Italie. Après quoi, nous pourrons entamer les conversations avec le président du Conseil soviétique.

La troisième condition, c’est le contact personnel de Monsieur Khrouchtchev avec moi – même, avec Monsieur Debré et avec notre gouvernement. Nous attribuons, quant à nous, une très grande importance à cette rencontre et aux explications que la Russie et la France pourront ainsi se donner l’une à l’autre sur les problèmes du monde qui préoccupent les 2 pays. En outre, il peut être bon que le responsable suprême de la Russie fasse directement connaissance avec la France. Heureusement, cette troisième condition préalable à une grande Conférence au sommet semble se présenter très bien. Monsieur Khrouchtchev sera en France le 15 mars et nous comptons qu’il y demeurera jusque vers la fin du même mois.

Il semble donc que se prépare, en vertu des impondérables autant que des désirs des dirigeants, une sorte de confrontation du monde moderne avec lui – même. Cette échéance, nous l’abordons avec foi et avec espérance, quoique non sans prudence et non sans modestie.

Les Anglo-Saxons d’une part et les Soviétiques d’autre part, ont inventé, ont expérimenté, ont fabriqué depuis quelque 20 ans des armements nucléaires colossaux. Il n’est pas question d’en faire le moindre grief aux Américains, qui en ont pris l’initiative. Ils l’ont fait à l’époque où le monde luttait contre la domination d’Hitler et de ses alliés. Ils l’ont fait avec le concours de chercheurs européens. Ils l’ont fait avec la participation des Anglais et des Canadiens. Et puis, ils ont lancé des bombes sur le Japon. C’était sans aucun doute dans l’intention d’abréger la guerre. Après quoi, en 1946, ils ont proposé de remettre les armes nucléaires dont ils disposaient aux Nations-unies, à condition qu’aucun autre Etat ne veuille lui aussi avoir de telles armes. Mais la Russie soviétique a préféré se faire elle – même des armes de cette sorte. C’est alors que la terrible concurrence a commencé. A l’heure qu’il est, vous savez bien que, d’un côté et de l’autre, Anglo-Saxons et Soviétiques disposent de tous les moyens voulus pour anéantir la vie sous toutes ses formes.

Cela a été réalisé au vu et au su du monde entier, et depuis sa naissance à San Francisco l’Organisation des Nations-unies dont vous avez parlé n’a jamais condamné cette effroyable menace cosmique. Jamais elle n’a invité les Anglo-Saxons et les Soviétiques à détruire les armes nucléaires qu’ils avaient en leur possession, ni même à cesser d’en fabriquer. Jamais elle n’a blâmé les quelque 200 expériences qui ont eu lieu dans toutes sortes de régions de la terre.

Alors l’émotion qui paraît actuellement s’être emparée d’un grand nombre de ses membres à l’idée de l’explosion, par elle – même inoffensive, qui est prévue dans le fond du Sahara, cette émotion que l’on affecte me paraît tellement excessive et tellement artificielle que je ne puis y voir autre chose qu’une manœuvre arbitraire à l’encontre de mon pays.

Il est vrai que les Soviétiques et les Anglo-Saxons ont suspendu leurs expériences, mais cela n’empêche en rien la menace d’exister, et même de grandir tous les jours. Car les deux rivaux continuent d’entretenir leur armement nucléaire et continuent d’en fabriquer. Actuellement même ils sont en train de déployer l’un et l’autre d’immenses efforts pour se doter de fusées qui en accroissent, dans d’énormes proportions, la portée et l’efficacité. Alors je dois remarquer que cette suspension des expériences a lieu au moment où les deux rivaux sont en possession de tout ce qu’il faut avoir et de tout ce qu’il faut savoir pour être en mesure d’anéantir la vie, où qu’elle soit. En outre, cette suspension d’expériences vient au moment où l’un et l’autre des deux ont accumulé, à force d’expérimentation, un capital de connaissances qui leur permet, sans être obligés de procéder à de nouvelles explosions, de perfectionner presque à l’infini, leur arme nucléaire.

Dans ces conditions, que les Anglo-Saxons et les Soviétiques conviennent entre eux de cesser leurs expériences, la France ne peut que l’approuver. Mais si on voulait l’inviter à renoncer pour elle – même aux armements atomiques, tandis que d’autres en possèdent et en développent d’énormes quantités, il n’y a aucune chance qu’elle défère à l’invitation.

Sans doute, l’espèce d’équilibre qui s’établit entre la puissance atomique des deux camps est – elle pour le moment un facteur de paix mondiale, mais qui peut dire ce qui arrivera demain ? Qui peut dire si, par exemple, quelque avance soudaine dans l’évolution, en particulier pour ce qui est des fusées spatiales, ne va pas procurer à l’un des deux un avantage tel que ses dispositions pacifiques n’y résisteront pas ? Qui peut dire si, dans l’avenir, les données politiques ayant complètement changé – cela est arrivé déjà sur la terre – les 2 puissances qui auraient le monopole des armes nucléaires ne s’entendraient pas pour se partager le monde ? Qui peut dire si, le cas échéant, tout en prenant, chacun de son côté, le parti de ne pas lancer ses engins sur le principal adversaire pour en être lui – même ménagé, les 2 rivaux n’écraseraient pas les autres.

On peut fort bien imaginer, par exemple, qu’en une terrible occasion, l’Europe occidentale soit anéantie, à partir de Moscou et l’Europe centrale à partir de Washington. Et qui peut dire même si les 2 rivaux, à la suite de je ne sais quel bouleversement politique et social, n’en viendront pas à se confondre ? En vérité, la France, en se dotant d’un armement nucléaire, rend service à l’équilibre du monde. Si l’Organisation des Nations-unies se montre capable de mettre effectivement un terme à la menace, et si, pour commencer, elle parvient à placer sous contrôle international les engins, véhicules de la mort, comme d’ailleurs la France le propose par la voix de son délégué au désarmement, Monsieur Moch, alors la France appliquera tout de suite et sans hésiter, et très volontiers, la loi internationale.

Mais si l’Organisation ne veut pas et ne peut pas le faire, alors comment qualifierait- on l’échappatoire dérisoire que serait une mauvaise querelle cherchée aujourd’hui à la France ?

Vous savez, les Nations-unies, tout au moins pour le moment, n’ont pas leur siège à Paris. Ce n’est pas les Nations-unies qui vont recevoir Monsieur Khrouchtchev au mois de mars, c’est la France.

En ce qui concerne l’Algérie, il s’est produit un fait décisif : les Algériens auront à décider eux – mêmes de leur destin. Leur choix sera entièrement libre. Il le sera, parce que la France veut que la question soit tranchée au fond. Le choix sera libre aussi, parce que je me suis engagé à ce que tous les Algériens puissent participer à la consultation sans subir aucune contrainte et même à ce que, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, quel que soit leur programme, ils prennent part non seulement au scrutin, mais aux délibérations qui précéderont afin de régler les modalités du scrutin, quand le moment sera venu, et la campagne qui précédera le vote. Le choix sera entièrement libre parce que le Premier Ministre a affirmé plusieurs fois notre volonté à cet égard, parce que le Parlement a donné son accord et parce que le peuple nous approuve.

Alors, dans ces conditions, on se demande à quoi pourraient tendre des interprétations – vous savez bien ce que je veux dire – qui obscurcissent plus ou moins ce qui est parfaitement clair et net. Ou bien, à quoi correspondraient, à quoi pourraient aboutir, des regrets sur la perspective de l’autodétermination ? Quelle serait la conséquence pratique de déclarations que l’on lancerait à partir de Paris ou même à partir d’Alger, sur la solution qu’on préconise ou qu’on exige ? Cette solution, elle dépendra de l’ensemble des électeurs algériens qui voteront dans plusieurs années.

En vérité, si l’on veut voir l’Algérie comme elle est, et non pas comme artificiellement on voudrait la concevoir, il y a une certitude : c’est que ce qui importe avant tout, ce dont tout dépend, c’est l’apaisement. Je dis encore une fois que si les chefs de l’insurrection veulent discuter avec les autorités des conditions de la fin des combats, ils peuvent le faire. Les conditions, je le répète, seraient honorables, elles respecteraient la liberté et la dignité de chacun, et elles tiendraient un juste compte du courage déployé sous les armes. Et si des représentants de l’organisation extérieure de la rébellion décident de venir en France pour en débattre, il ne tiendra qu’à eux de le faire, n’importe quand, soit en secret, soit publiquement, suivant ce qu’ils choisiront. Notre ambassadeur à Tunis, notre ambassadeur à Rabat, l’un ou l’autre, assurera leur transport et des personnalités auront à les recevoir. S’ils veulent, à un moment donné, à n’importe quel moment, retourner d’où ils sont venus, la garantie leur est donné qu’ils en auront la liberté entière et que les moyens leur en seront fournis. Mais si cette procédure ne se produit pas, ou si elle diffère, et bien ! les forces de l’ordre continuent et continueront de pacifier directement le pays, comme elles le font du reste avec un succès évident et grandissant.

Je vais donner à ce sujet quelques indications pratiques, quelques chiffres qui pourront peut-être éclairer les esprits sur ce qui, dans l’hypothèse que je dis, c’est-à-dire s’il n’y avait pas de cessez-le-feu concerté, ce qui néanmoins sans doute progressivement se produira sur le terrain. Les victimes de la guerre civile pendant 5 ans ont été nombreuses en Algérie, mais elles sont nombreuses surtout de quel côté ? La rébellion a tué 1800 Français civils de souche en 5 ans, c’est-à-dire un pour 600 en tout et un pour 3000 par an. Elle a tué 12000 civils musulmans en 5 ans, c’est-à-dire un pour 700 en tout, un pour 3500 par an, c’est-à-dire fort heureusement et fort sensiblement moins qu’il n’en est mort pendant le même temps par de banals accidents de la route ou du travail. Pendant les mêmes 5 années, ont servi en Algérie dans les forces de l’ordre 1400000 hommes, sur lesquels 13000 sont morts au champ d’honneur, soit moins d’un pour 100. En comparaison, ces pertes, pour cruelles qu’elles soient, n’ont certainement pas changé la vie de l’ensemble de la population de l’Algérie, ni entamé en rien les unités militaires. En face de ces pertes, combien il est lamentable de compter les 145000 Algériens qui ont été tués du côté de l’insurrection. Je me demande quel peut être l’aboutissement de ces combats ? A quoi l’insurrection peut – elle tendre ? Que peut – elle attendre de la poursuite de cette lutte sinon de continuer de pousser à la mort la fraction de la jeunesse algérienne qu’elle persuade ou qu’elle contraint, et qui manquera à l’Algérie de demain ? A mesure que les opérations de pacification se poursuivent, l’efficacité, si l’on peut dire, de l’insurrection ne cesse pas de s’amenuiser.

En 1957, il y avait en Algérie en moyenne tous les mois 2000 exactions de toutes sortes, bien entendu. En 1958, il y en avait en moyenne par mois 1600. En octobre 1959, c’est à peine si le chiffre a dépassé 1000. Et, bien entendu, le nombre des victimes civiles diminue en même temps. Il y en avait, en 1958, 30 pour 100 de moins que l’année d’avant et il y en a en moyenne, en 1959, 40 pour 100 de moins que la moyenne des 2 dernières années.

Du moins la rébellion parvient- elle à empêcher les Musulmans algériens à servir dans les forces de l’ordre ?

Voici quelques chiffres :

En janvier 1957, il y avait comme effectifs musulmans dans nos forces 43400 hommes, tant appelés au titre du contingent, qu’engagés volontaires ou supplétifs armés. Il y en a actuellement 182000, dont 129000 servent dans les troupes régulières et 53000 sont des auxiliaires armés. Ce quadruplement des effectifs musulmans a – t – il augmenté la proportion des désertions ? Pas du tout ; bien au contraire. Il y avait en moyenne, en 1957, tous les mois, pour 1000 musulmans, 4-5 déserteurs. Il y en a actuellement chaque mois 1-4 pour 1000.

Et pendant ce temps – là, nous voyons se multiplier parmi les insurgés – et c’est d’ailleurs fort heureux – le nombre des prisonniers par rapport à celui des tués. Cette proportion du reste reflète assez bien des divisions et le découragement qui existent chez eux. Il y a eu 15 pour 100 de prisonniers par rapport aux tués chez les insurgés en 1957 ; il y en a aujourd’hui 30 pour 100.

Mais l’activité générale de l’Algérie prouve surtout que, si l’insurrection lui est évidemment douloureuse, elle ne l’empêche pas de se développer, et de se développer avec la France. C’est un fait que l’Algérie n’a jamais travaillé plus et n’a jamais travaillé mieux qu’aujourd’hui. La récolte de 1959 vient de se faire : elle s’est faite, autant vous dire, partout, et dans des conditions meilleures que jamais. Le total des échanges extérieurs, importations et exportations pour l’Algérie, qui se montait en 1954, avant l’insurrection, à 325 milliards, atteint cette année 700 milliards. On a consommé en Algérie quelque chose comme 700 millions de kilowatts-heure en 1954. On en aura consommé en 1959 près de 1400 millions. On avait construit, en 1954, 12000 logements en Algérie. On en a construit cette année 31000 et l’année prochaine on en construira 55000. On avait fait en 1954 quelque chose comme 400 ou 500 kilomètres de routes et de chemins. On en aura fait cette année 2500 kilomètres. Dans les écoles, il y avait, en 1954, 450000 enfants. A la rentrée dernière, il en est rentré 860000, parmi lesquels, fait remarquable, une large proportion de filles. 180 entreprises industrielles ont demandé, en 11 mois, à s’établir en Algérie. C’est autant qu’il y en a eu pendant les 11 ans qui se sont écoulés entre la fin de la guerre mondiale et le début de l’insurrection.

Pensez un peu aux immenses travaux qui ont été exécutés pour la prospection, l’extraction, l’acheminement des pétroles et du gaz du Sahara, exactement comme il était prévu. Ces jours – ci le pétrole va arriver à la côte à Bougie, par un oléoduc de 700 kilomètres de long. En vérité, malgré l’insurrection, malgré la propagande et la terreur par lesquelles la rébellion cherchait à maintenir la population dans une sorte de grève permanente, l’Algérie nouvelle se dessine et se relève dans l’apaisement.

Alors je dis à tous les Algériens de toutes les communautés, de toutes les tendances, de toutes les idées : vous pouvez et vous devez participer à cette transformation qui va faire de l’Algérie un pays d’hommes libres, dignes, fiers, prospères. Après tout, c’est votre lot commun. Que ne devriez – vous y participer, vous autres qui avez crus servir l’Algérie par la révolte et par la terreur ! A moins que vos chefs ne s’acharnent à vouloir maintenir ou établir leur dictature par la violence, quitte à vouer le pays à la ruine et au malheur. La guerre que vous menez là n’a plus de véritable explication. Il y a beaucoup mieux à faire pour votre ardeur, votre courage, votre amour de la terre natale.

Et vous tous, les attentistes, vous qui ne bougez pas et qui faites perdre son temps à l’Algérie, alors qu’il faudrait très vite qu’elle trouve sa paix et son développement, dès lors qu’il est entendu que son destin est aux mains de ses habitants, que ne formez – vous le grand parti du progrès Algérien !

Vous, les Français d’Algérie, qui avez tant et tant fait là pendant des générations, si une page a été tournée par le grand vent de l’Histoire, il vous appartient d’en écrire une autre. Trêve de vaines nostalgies, de vaines amertumes, de vaines angoisses, prenez l’avenir comme il se présente et prenez – le corps à corps. Plus que jamais, l’Algérie a besoin de vous. Plus que jamais, la France a besoin de vous en Algérie.

Et vous tous, peuples et Etats étrangers, si vous croyez, comme il faut le croire, qu’en fin de compte la seule querelle qui vaille est celle de l’Homme, reconnaissez que la France soutient cette querelle – là en Algérie, pour l’Algérie, avec l’Algérie. Alors, s’il vous plaît, respectez son effort.

Je ne sais pas si j’ai ajouté quelque chose à ce qui avait déjà été dit.

Vis-à-vis des peuples que la France s’était attachés il y a à la base de sa politique 2 faits, et je crois bien que ces 2 faits sont aussi grands que la Terre.

Le premier fait c’est la notion d’autodétermination, de libre disposition d’eux – mêmes, et à leurs yeux d’indépendance, qui anime ces peuples. C’est une sorte de disposition psychologique, élémentaire, qui est d’autant plus active qu’elle trouve le concours du monde entier, y compris des pays qui étaient hier colonisateurs.

Il est vrai que pendant longtemps, l’humanité a admis – et je crois qu’elle avait parfaitement raison – l’humanité a admis que, pour ouvrir à la civilisation les populations qui en étaient écartées par les obstacles de la nature ou par leur propre caractère, il était nécessaire qu’il y eût pénétration de la part de l’Europe occidentale, malgré quelques fâcheuses péripéties.

Où en seraient aujourd’hui l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Océanie, une grande partie de l’Asie, si les explorateurs, les colons, les soldats, les missionnaires, les ingénieurs, les médecins de l’Occident, n’y étaient pas venus en apportant les idées, l’action, l’organisation, la technique occidentales ? Oui, ces pays furent conquis, révélés et éveillés. Alors, maintenant, cela est acquis, et d’un bout à l’autre de la Terre, chaque peuple prend conscience de lui – même et veut disposer de son destin.

Le second fait, qui est mondial lui aussi, c’est que ces populations mises au contact avec le progrès sont envahies d’un désir croissant de voir s’élever leur propre niveau de vie dans un monde où certains sont en pleine prospérité ; on se résigne de plus en plus difficilement à ne pas manger à sa faim, à souffrir des intempéries, à périr dans des épidémies, à végéter dans l’ignorance, et on veut avoir à son tour des terres bien cultivées, des mines, des usines, des routes, des chemins de fer et des ponts, des avions, des bateaux, des écoles, des universités. Et comment les avoir sans le concours administratif, financier, économique, technique, de ceux qui en ont les moyens ? Au fur et à mesure qu’on s’affranchit, on a besoin de l’aide des autres. Il n’y a là rien que de très humain, c’est-à-dire de très naturel et de très avouable.

Alors, cela étant, quelle est l’attitude de la France à l’égard des populations qu’elle gouvernait hier encore, et pour autant que celles – ci ne veulent pas faire partie d’elle – même, ce qui est vrai pour quelques-unes ?

Il y a des gens chez nous – il n’en manque pas – qui répugnent à l’évolution, soit par nostalgie d’un passé qui d’ailleurs a comporté beaucoup d’efforts et de mérites, ou bien par méconnaissance des actuelles réalités, ou bien pour des raisons d’intérêt particulier qui sont d’ailleurs souvent respectables.

Ceux – là voudraient que l’on fasse comme si ce qui est n’était pas. Ils voudraient que l’on continue de traiter en termes d’empire des populations qui sont emportées par l’exaltation de la liberté. Si cette attitude était celle de la France, il n’y a pas de doute, étant donné les courants, il n’y a pas de doute que cela amènerait pour elle et pour tout le monde des difficultés de plus en plus grandes. D’ailleurs, les changements inéluctables se feraient tout de même, et ils se feraient mal, dans de mauvaises conditions humaines, et ils se feraient contre la France.

A l’opposé, il y a d’autres gens qui pensent que non seulement nous ne devons pas empêcher la séparation quand elle se présente, mais qu’au contraire nous devons nous en féliciter. Ces territoires nous coûtent beaucoup plus cher qu’ils ne nous rapportent. S’ils veulent nous quitter, qu’ils le fassent. Nos ressources, nos capacités, trouveront à s’employer chez nous d’une manière beaucoup plus utile que chez eux. Ceux – là, je ne crois pas qu’ils soient d’accord avec l’idée que la France se fait d’elle – même ni avec l’idée que le monde se fait de la France. Nous avons toujours eu une mission humaine et nous l’avons encore, et il faut que la politique soit conforme à notre génie. Il est très vrai que dans le cas où certains ne voudraient pas de notre aide nous n’aurions aucune espèce d’avantage à vouloir la leur imposer. Dans ce cas – là, c’est nous qui profiterions surtout de la sécession. Mais, vis-à-vis des peuples qui souhaitent son concours, auxquels elle est attachée, et qui peut-être un jour lui rendront ce qu’elle leur aura prêté, vis-à-vis de ceux – là, la France est résolue à leur fournir l’aide qu’ils souhaiteront, dans la mesure où elle le pourra. Autrement dit, la politique de la France à l’égard de ces pays, c’est de respecter et de reconnaître leur libre disposition d’eux – mêmes et en même temps de leur offrir de faire avec elle un ensemble dans lequel ils trouveront son concours et dans lequel elle trouvera leur participation à son activité mondiale.

C’est là la base du contrat qui a été conclu depuis un an entre la République française et 11 Etats africains nouveaux et la République malgache. Evidemment, à l’intérieur de ce contrat, des révisions sont possibles. Elles sont prévues par la Constitution. Elles sont possibles dès lors qu’elles s’accomplissent suivant les formes constitutionnelles. Mais il faut qu’il y ait un fondement, que ce fondement tienne, sans quoi on ne peut rien construire dessus. Dans cette Communauté tous les Etats qui en font partie y sont parce qu’ils l’ont voulu, et tous, à chaque instant, peuvent s’en aller s’ils le veulent ; autrement dit, la Communauté, pour tout le monde, c’est l’indépendance effective et c’est la coopération garantie.

Il y a 2 Etats, le Cameroun et le Togo, qui, à leur tour, vont accéder bientôt à l’indépendance. Ils le font par d’autres voies que les Etats africains qui sont dans la Communauté. Ils le font par d’autres voies que ces Etats ont prises parce qu’ils n’étaient pas sous la souveraineté de la France, ils étaient sous sa tutelle en vertu d’un mandat international ; c’est seulement l’année prochaine qu’ils devront avoir la libre et entière disposition d’eux – mêmes. Si le Cameroun et si le Togo souhaitent, ce qui est possible, s’associer à la Communauté, je crois que celle – ci donnera satisfaction à ces deux bons partenaires.

Quant à la Guinée, au moment de la décision, elle était déjà en fait une République démocratique populaire, un régime totalitaire sous la dictature d’un parti unique. Ses dirigeants, rêvant d’utiliser ce tremplin pour dominer l’Afrique, ont refusé la Communauté. De leur part, c’était tout naturel.

Voilà quelle est la politique de la France en ce qui concerne les Etats africains qui étaient hier encore appelés au progrès par elle, et qui, s’ils le veulent, continueront de faire leur progrès avec elle. Si l’on admet, comme je le disais tout à l’heure pour l’Algérie, qu’une politique dans notre siècle doit avoir comme un de ses buts principaux le bien de l’homme, je crois que cette politique de la France et des Etats de la Communauté c’est la meilleure politique actuellement possible.

C’est un peu une position à l’égard de moi – même, si vous voulez bien m’excuser de vous le dire. Nous sommes un peu moins nombreux que nous fûmes et, chaque année, moins nombreux à avoir participé les armes à la main au salut de la France sur les champs de bataille de la guerre de 1914-1918. Ce que nous avons fait, nous autres, nous ne l’avons évidemment pas oublié. Il est infiniment souhaitable, pour la nation française, que ce souvenir lui reste profond et respecté. Et je crois que tant que nous vivrons encore il faut que, de toutes les manières, nous ayons une certaine attitude, une certaine façon de voir les choses, et en particulier de voir le pays. Il faut que nous donnions quelque peu l’exemple, que nous restions ce que nous fûmes : des témoins. Il est vrai qu’après la guerre de 1914-1918, celui qui était le chef de la France à l’époque, Georges Clemenceau, voyant revenir ces combattants qui avaient encore une fois sauvé le pays sur les champs de bataille, sous les ordres des maréchaux Joffre, Foch et Pétain, Clemenceau disait : « Ils ont des droits sur nous« . Je suis sûr que ce que Clemenceau voulait dire c’était que ces combattants avaient le droit de nous donner, demain comme hier, l’exemple. Et nous, leur exemple, nous avons le devoir de le suivre. Plusieurs années après – Clemenceau était mort depuis longtemps – on a inventé, non pas la retraite des mutilés, des veuves, des orphelins, ce qui fut fait tout de suite, et ce qui était infiniment naturel et infiniment nécessaire, on a inventé la retraite des anciens combattants valides. Aucun pays ne l’a fait. Je n’épiloguerai pas sur les raisons qui ont pu y conduire la République d’alors. En tout cas, elle l’a fait. On en a pris l’habitude, j’en conviens, et peu à peu il s’est trouvé une organisation des anciens combattants dont les délégués tenaient énormément à cette retraite, qui du reste n’était pas considérable, mais où ils voyaient une espèce de symbole.

L’année dernière, au mois de décembre, la question s’est posée d’une manière aiguë. Nous avons eu beaucoup de mal à rétablir l’équilibre de nos finances, vous le savez bien. A ce moment – là, il fallait réduire le déficit à tout prix, sous peine de ne jamais plus sortir de l’inflation, c’est-à-dire d’aller à la catastrophe. Alors, nous l’avons fait. Pour le faire, il a fallu tailler dans tous les postes du budget. S’est présenté le budget des anciens combattants et des victimes de la guerre : il atteignait et il atteint encore 320 milliards. Naturellement il ne s’agissait pas d’enlever un sou aux veuves, aux mutilés, aux orphelins. Sur les 320 milliards on en a retiré 7 et on les a retirés à ceux qui n’en avaient pas besoin parce qu’ils n’étaient pas économiquement faibles et qu’ils étaient en outre valides. Je ne dis pas que c’était très drôle. Ce n’était drôle pour personne et en particulier pas pour celui qui vous parle, mais c’était vraiment une nécessité. Il n’y avait pas de raison qu’aucune catégorie, si respectable qu’elle soit à la nation, ne participât pas au sacrifice général. D’ailleurs ces 7 milliards qu’en a – t – on fait ? On les a donnés aux vieux, car vous savez qu’on a augmenté en même temps la retraite des vieux économiquement faibles pour les mettre autant que possible à l’abri des quelques hausses qui étaient à prévoir, compte tenu de la dévaluation.

Moi j’espérais, je le dis franchement, que les anciens combattants comprendraient les choses comme elles l’étaient, qu’ils reconnaîtraient que si De Gaulle en avait pris la responsabilité, c’est qu’il avait de bonnes raisons d’intérêt national et que, tout en poussant des soupirs, ce que je comprenais bien, il fallait consentir de bonne foi, de bonne volonté à ce sacrifice en attendant des jours meilleurs, qui du reste pourraient ne pas trop tarder si notre rétablissement suit le cours qu’il a commencé de prendre. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit, vous le savez bien et je le répète. Je ne vois pas, d’ailleurs, à quoi cela peut conduire. Les anciens combattants sont faits pour être les premiers à l’honneur, ils ne sont pas faits pour être les premiers à la revendication. Je souhaite ardemment que tout cela s’arrange, comme on dit, qu’on n’y mette pas d’aigreur, d’amertume, qui seraient vraiment mauvaises et fâcheuses dans la période de redressement où se trouve le pays. Et j’invoque mes camarades de guerre 1914-1918 pour qu’ils m’aident aussi, dans cette circonstance. Du reste, je suis convaincu que c’est le sentiment de l’immense majorité d’entre eux.

J’ajoute qu’au mois de janvier, quand tout sera passé, et vous savez de quoi je parle, le Président de la République pourra convoquer les dirigeants des principales organisations d’anciens combattants pour prendre avec eux le digne contact qui est nécessaire. Encore une fois, ce qui a été fait – je le leur dis comme leur camarade, mais je le leur dis aussi comme chef de l’Etat – ce qui a été fait ne sera pas changé. Nous n’en sommes plus où on en était hier. Peut-être ont – ils cru que nous en étions encore à cette époque, les dirigeants dont je parlais. Mais nous n’y sommes plus. Quand il s’agit d’un domaine d’intérêt national, le pouvoir ne recule pas. Encore une fois, la place d’honneur, au premier rang, que méritent les anciens combattants de la grande guerre, cette place – là personne plus que moi n’est résolu à la leur assurer.

je crois que ce que nous voulons faire et que nous sommes en train de faire, c’est-à-dire une France qui ait sa solidité, sa fermeté et sa conscience, c’est évidemment pour lui rendre service à elle – même, mais aussi pour rendre service au monde entier.

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