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Discours : Le general de Gaulle et l’état juif

Alors que la situation des palestiniens est toujours de nos jours sans issue, il est intéressant d’écouter la position qu’adoptait le général De Gaulle sur l’état juif, sur les conditions dans lesquelles il avait été créé et ses craintes de déstabilisation de la région. Des propos comme « Les juifs, un peuple d’élites et dominateur » feraient scandales de nos jours et seraient même passibles de la loi.

Ci-dessous, son discours lors de la conférence de presse tenue en novembre 1967 :

Discours de Charles de Gaule dans son intégralité :

« L’établissement, entre les deux guerres mon­diales, car il faut remonter jusque là, l’établissement d’un foyer sio­niste en Palestine et puis, après la deuxième guerre mon­diale, l’établissement d’un Etat d’Israël, sou­le­vaient, à l’époque, un certain nombre d’appréhensions. On pouvait se demander, en effet, et on se demandait même chez beaucoup de juifs, si l’implantation de cette com­mu­nauté sur des terres qui avaient été acquises dans des condi­tions plus ou moins jus­ti­fiables et au milieu des peuples arabes qui lui étaient fon­ciè­rement hos­tiles, n’allait pas entraîner d’incessants, d’interminables fric­tions et conflits. Cer­tains même redou­taient que les juifs, jusqu’alors dis­persés, qui étaient restés ce qu’il avaient été de tout temps, un peuple d’élite, sûr de lui-même et domi­nateur, n’en viennent, une fois qu’ils seraient ras­semblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conqué­rante les sou­haits très émou­vants qu’ils for­maient depuis dix-neuf siècles : l’an pro­chain à Jérusalem.

Cependant, en dépit du flot tantôt montant tantôt des­cendant des mal­veillances qu’ils pro­vo­quaient, qu’ils sus­ci­taient plus exac­tement, dans cer­tains pays et à cer­taines époques, un capital consi­dé­rable d’intérêt et même de sym­pathie s’était accumulé en leur faveur, surtout, il faut bien le dire, dans la chré­tienté ; un capital qui était issu de l’immense sou­venir du Tes­tament, nourri par toutes les source d’une magni­fique liturgie, entretenu par la com­mi­sé­ration qu’inspirait leur antique malheur et que poé­tisait chez nous la légende du Juif errant, accru par les abo­mi­nables per­sé­cu­tions qu’ils avaient subies pendant la deuxième guerre mon­diale, et grossi depuis qu’ils avaient retrouvé une patrie, par leurs travaux constructifs et le courage de leurs soldats. C’est pourquoi, indé­pen­damment des vastes concours en argent, en influence, en pro­pa­gande, que les Israé­liens rece­vaient des milieux juifs d’Amérique et d’Europe, beaucoup de pays, dont la France, voyaient avec satis­faction l’établissement de leur Etat sur le ter­ri­toire que leur avaient reconnu les Puis­sances, tout en désirant qu’ils par­viennent, en usant d’un peu de modestie, à trouver avec leurs voisins un modus vivendi pacifique.

Il faut dire que ces données psy­cho­lo­giques avaient quelque peu changé depuis 1956, à la faveur de l’expédition franco-britannique de Suez on avait vu appa­raître en effet, un Etat d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir. Ensuite, l’action qu’il menait pour doubler sa popu­lation par l’immigration de nou­veaux éléments, donnait à penser que le ter­ri­toire qu’il avait acquis ne lui suf­firait pas long­temps et qu’il serait porté, pour l’agrandir, à saisir toute occasion qui se pré­sen­terait. C’est pourquoi, d’ailleurs, la Vème Répu­blique s’était dégagée vis-à-vis d’Israël des liens spé­ciaux et très étroits que le régime pré­cédent avait noués avec cet Etat, et s’était appliquée au contraire à favo­riser la détente dans le Moyen-Orient. Bien sûr, nous conser­vions avec le gou­ver­nement israélien des rap­ports cor­diaux et, même, nous lui four­nis­sions pour sa défense éven­tuelle, les arme­ments qu’il demandait d’acheter. Mais, en même temps, nous lui pro­di­guions des avis de modé­ration, notamment à propos des litiges qui concer­naient les eaux du Jourdain ou bien des escar­mouches qui oppo­saient pério­di­quement les forces des deux camps. Enfin, nous nous refu­sions à donner offi­ciel­lement notre aval à son ins­tal­lation dans un quartier de Jéru­salem dont il s’était emparé et nous main­te­nions notre ambassade à Tel-Aviv.

Une fois mis un terme à l’affaire algé­rienne, nous avions repris avec les peuples arabes d’Orient la même poli­tique d’amitié, de coopé­ration qui avaient été pendant des siècles celle de la France dans cette partie du monde et dont la raison et le sen­timent font qu’elle doit être aujourd’hui une des bases fon­da­men­tales de notre poli­tique exté­rieure. Bien entendu, nous ne lais­sions pas ignorer aux Arabes que, pour nous, l’Etat d’Israël était un fait accompli et que nous n’admettrions pas qu’il fût détruit. De sorte qu’on pouvait ima­giner qu’un jour vien­drait où notre pays pourrait aider direc­tement à ce qu’une paix fût conclue et garantie en Orient, pourvu qu’aucun drame nouveau ne vînt la déchirer.

Hélas ! Le drame est venu. Il avait été préparé par une tension très grande et constante qui résultait du sort scan­daleux des réfugiés en Jor­danie, et aussi d’une menace de des­truction pro­diguée contre Israël. Le 22 mai, l’affaire d’Aqaba, fâcheu­sement créée par l’Egypte, allait offrir un pré­texte à ceux qui rêvaient d’en découdre. Pour éviter les hos­ti­lités, la France avait, dès le 24 mai, proposé aux trois autres grandes puis­sances d’interdire, conjoin­tement avec elle, à chacune des deux parties d’entamer le combat. Le 2 juin, le gou­ver­nement français avait offi­ciel­lement déclaré, qu’éventuellement, il don­nerait tort à qui­conque enta­merait le premier l’action des armes, et c’est ce que j’avais moi-même, le 24 mai dernier, déclaré à Mon­sieur Eban, ministre des Affaires étran­gères d’Israël, que je voyais à Paris. “Si Israël est attaqué”, lui dis-je alors en sub­stance, “nous ne le lais­serons pas détruire, mais si vous attaquez, nous condam­nerons votre ini­tiative. Certes, malgré l’infériorité numé­rique de votre popu­lation, étant donné que vous êtes beaucoup mieux orga­nisés, beaucoup plus ras­semblés, beaucoup mieux armés que les Arabes, je ne doute pas que le cas échéant, vous rem­por­teriez des succès mili­taires, mais ensuite, vous vous trou­veriez engagés sur le terrain et au point de vue inter­na­tional, dans des dif­fi­cultés gran­dis­santes, d’autant plus que la guerre en Orient ne peut pas manquer d’augmenter dans le monde une tension déplo­rable et d’avoir des consé­quences très mal­en­con­treuses pour beaucoup de pays, si bien que ce serait à vous, devenus des conqué­rants, qu’on en impu­terait peu à peu les inconvénients.”

On sait que la voix de la France n’a pas été entendue. Israël, ayant attaqué, s’est emparé, en six jours de combat, des objectifs qu’il voulait atteindre. Main­tenant, il organise sur les ter­ri­toires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expul­sions, et il s’y mani­feste contre lui une résis­tance, qu’à son tour il qua­lifie de ter­ro­risme. Il est vrai que les deux bel­li­gé­rants observent, pour le moment, d’une manière plus ou moins pré­caire et irré­gu­lière, le cessez-le-feu prescrit par les Nations unies, mais il est bien évident que le conflit n’est que sus­pendu et qu’il ne peut y avoir de solution sauf par la voie internationale.

Un règlement dans cette voie, à moins que les Nations unies ne déchirent elles-mêmes leur propre charte, doit avoir pour base l’évacuation des ter­ri­toires qui ont été pris par la force, la fin de toute bel­li­gé­rance et la recon­nais­sance réci­proque de chacun des Etats en cause par tous les autres. Après quoi, par des déci­sions des Nations unies, en pré­sence et sous la garantie de leurs forces, il serait pro­ba­blement pos­sible d’arrêter le tracé précis des fron­tières, les condi­tions de la vie et de la sécurité des deux côtés, le sort des réfugiés et des mino­rités et les moda­lités de la libre navi­gation pour tous, notamment dans le golfe d’Aqaba et dans le canal de Suez. Suivant la France, dans cette hypo­thèse, Jéru­salem devrait recevoir un statut inter­na­tional. Pour qu’un tel règlement puisse être mis en oeuvre, il fau­drait qu’il y eût l’accord des grandes puis­sances (qui entraî­nerait ipso facto celui des Nations unies) et, si un tel accord voyait le jour, la France est d’avance dis­posée à prêter sur place son concours poli­tique, écono­mique et mili­taire, pour que cet accord soit effec­ti­vement appliqué. Mais on ne voit pas comment un accord quel­conque pourrait naître non point fic­ti­vement sur quelque formule creuse, mais effec­ti­vement pour une action commune, tant que l’une des plus grandes des quatre ne se sera pas dégagée de la guerre odieuse qu’elle mène ailleurs. Car tout se tient dans le monde d’aujourd’hui. Sans le drame du Vietnam, le conflit entre Israël et les Arabes ne serait pas devenu ce qu’il est et si, demain, l’Asie du Sud-Est voyait renaître la paix, le Moyen-Orient l’aurait bientôt recouvrée à la faveur de la détente générale qui sui­vrait un pareil événement. »

 

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