Discours de Charles De Gaulle – Allocution radiotélévisée du 28 décembre 1958

Avant tout, Françaises, Français, je veux vous dire que j’accepte le mandat que vous m’avez confié. Votre décision fut marquée lors de la crise nationale du mois de mai, affirmée par le référendum, répétée par les élections, précisée par le vote des élus dimanche dernier. La tâche nationale qui m’incombe depuis 18 ans se trouve, de ce fait, confirmée. Guide de la France et chef de l’Etat républicain, j’exercerai le pouvoir suprême dans toute l’étendue qu’il comporte désormais et suivant l’esprit nouveau qui me l’a fait attribuer.

L’appel qui m’est adressé par le pays exprime son instinct de salut. S’il me charge de le conduire c’est parce qu’il veut aller, non certes à la facilité, mais à l’effort et au renouveau. Depuis 7 mois, assez remplis, nous y allons, en effet, et faisons quelques grands pas sur la voie du redressement. En vérité il était temps. Car, à la veille du démarrage, l’unité française se trouvait sur le point de se briser, entraînant tout à l’effondrement.

Bien entendu, le danger s’étendait aux finances et à l’économie. Dans les derniers jours de mai nous étions, à cet égard, sur la route de la catastrophe. La balance des comptes entre ce qu’il nous fallait acheter au dehors et ce que nous pouvions y vendre atteignait un déficit apparemment irréductible, tandis que les prêts étrangers se trouvaient presque épuisés. D’ailleurs on ne voyait plus comment faire face normalement à toutes les dépenses de l’Etat, les impôts n’y suffisant point et le crédit semblant s’éteindre. Enfin, les prix ne cessaient pas de monter, ainsi que l’inquiétude sociale. Brochant sur le tout, une certaine récession se faisait déjà sentir. Le mouvement du mois de mai, s’il apparut d’abord en Algérie, procédait en réalité de la conviction générale que le pouvoir était impuissant devant la marée des menaces, y compris, naturellement, celles qui pesaient sur notre économie.

La confiance du pays nous a permis, dans ce domaine comme dans les autres, de renverser la tendance et de parer au plus pressé. Cependant, la situation demeure précaire, c’est-à-dire dangereuse. Quand on mesure les espoirs que nous apportent la nombreuse jeunesse venue au monde depuis la guerre, le pétrole, le gaz et l’uranium découverts, notre outillage en progrès, nos élites nouvelles surgissant du fond du peuple, notre association avec la Communauté, l’élargissement imminent du marché européen, on est saisi à la fois par l’impatience et la résolution.

Avec mon gouvernement, j’ai donc pris la décision de mettre nos affaires en ordre réellement et profondément. Le budget en est l’occasion, peut-être ultime, très bonne en tout cas. Nous avons adopté et, demain, nous appliquerons tout un ensemble de mesures financières, économiques, sociales, qui établit la nation sur une base de vérité et de sévérité, la seule qui puisse lui permettre de bâtir sa prospérité. Je ne cache pas que notre pays va se trouver quelque temps à l’épreuve. Mais le rétablissement visé est tel qu’il peut nous payer de tout.

Au point de vue des charges publiques rien ne saurait être accepté qui aboutisse à l’inflation. Mais, en même temps, tout doit être fait pour poursuivre et même pour accroître les investissements qui commandent notre avenir, soit dans le domaine social : logements, écoles, hôpitaux; soit dans le domaine économique : énergie, équipement, communications. En outre nous avons entrepris de transformer l’Algérie tandis qu’avance la pacification. Encore nous faut- il concourir à la mise en valeur des pays de la Communauté. Enfin, nous ne pouvons pas, dans l’état où est l’univers, nous dispenser d’une force militaire importante. Mais toutes ces obligations, jointes aux dépenses normales de l’Etat, comporteraient, si nous laissions aller les choses, un déficit de 1200 milliards, soit 2 fois plus que l’épargne n’est susceptible de nous fournir. A moins de recourir à la ruineuse inflation ou de faillir à la France, il n’y a rien d’autre à faire que de réduire de moitié le déficit menaçant. C’est ce qui est décidé.

Tout à l’heure, monsieur Pinay, ministre des finances et des affaires économiques, vous indiquera avec précision quelles dispositions sont prises. En voici l’essentiel. Accroître les impôts sur les sociétés et sur les revenus élevés. Taxer le vin, l’alcool, le tabac. Supprimer maintes subventions accordées par le trésor et qui s’appliquent en particulier à des produits de consommation. Réduire la participation du budget au financement des entreprises nationalisées, notamment des chemins de fer. Combler dans le fonctionnement des assurances sociales le déficit dont les fonds publics ont à supporter la charge. Inviter les anciens combattants qui sont pourvus du nécessaire et qui ne sont pas invalides à renoncer à leur retraite, les pensions des veuves, des orphelins, des mutilés, restant bien entendu ce qu’elles sont. Abolir une série de ces indexations qui ne sont en réalité que proclamations de méfiance à l’égard de la monnaie.

En revanche, augmenter de 245 milliards, c’est-à-dire de 25 pour 100, le montant des investissements qui sont notre richesse future et ouvrent carrière à notre jeunesse. Voilà de rudes dispositions ! Je ne sais que trop ce que dans l’immédiat elles coûteront à beaucoup. Mais je les crois efficaces, je les tiens pour nécessaires, et je suis sûr qu’en définitive tout le monde tirera profit de l’équilibre ainsi réalisé.

Comme on peut s’attendre à ce qu’il en résulte, au moins momentanément, quelque hausse du niveau des prix, le gouvernement prend aussi des mesures relatives au pouvoir d’achat, de celui surtout des Français dont le revenu est plus modeste.

Le premier février le salaire minimum interprofessionnel garanti sera accru en conséquence, tandis que dès le premier janvier les vieilles gens verront leur retraite majorée de 5200 francs. J’ajoute que va être fondé, institué, par coopération du patronat et des syndicats, un fonds spécial destiné au maintien de l’emploi et assurant aux travailleurs qui se trouveraient en chômage un supplément portant l’allocation aux environs du salaire minimum. Quant aux personnels dépendant directement de l’Etat : fonction publique, services, entreprises nationalisées, à partir du premier février leur rémunération sera augmentée de 4 pour 100.

Dans le monde d’aujourd’hui rien ne vaut que par comparaison. Or nous sommes actuellement, vis-à-vis de l’extérieur, dans une situation économique diminuée. Empêchés d’importer et d’exporter suffisamment, endettés, privés de crédit alors que nos produits, notre technique, nos capacités, sont à hauteur de toutes les concurrences, nous sommes loin d’atteindre au large niveau d’échanges qui développerait notre activité. Ce qu’il y a d’artificiel dans la valeur de notre monnaie provient, certes, du déséquilibre de nos affaires, mais n’en est pas moins une cause permanente de difficultés.

C’est pourquoi, tout en remédiant au désordre fondamental, nous devons placer notre franc sur une base telle qu’il soit inébranlable. Nous le faisons donc, regrettant d’en abaisser le taux, mais tirant les conséquences de négligences prolongées. Du même coup notre monnaie devient convertible au-dehors en toutes monnaies étrangères, en même temps et au même titre que plusieurs de nos partenaires européens le font pour leur livre, leur mark, leur lire, leur florin, et cetera. Au surplus le vieux franc français, si souvent mutilé à mesure de nos vicissitudes, nous voulons qu’il reprenne une substance conforme au respect qui lui est dû.

Dans le courant de 1959 apparaîtra le franc nouveau valant 100 francs d’aujourd’hui. Pour nos échanges avec l’étranger nous avons pris la décision de les libérer à 90 pour 100, ouvrant les vannes au courant et replaçant décidément la France, dans le domaine économique, à son rang international.

Cet ensemble, dont toutes les parties se tiennent et se complètent, cet ensemble est grave mais essentiel. Sans l’effort de remise en ordre avec les sacrifices qu’il requiert et les espoirs qu’il comporte, nous resterions un pays à la traîne, oscillant perpétuellement entre le drame et la médiocrité. Au contraire, si nous réussissons la grande entreprise nationale de redressement financier et économique, quelle étape sur la route qui nous mène vers les sommets ! C’est le vœu que je forme à l’adresse de toutes et de tous tandis qu’approche la nouvelle année.

Peuple français, grand peuple ! Fierté, courage, espérance !

Vive la République ! Vive la France !

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